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Johary Ravaloson
21 juin 2008

Madagascar : dans l’intimité des Zafimaniry (par Dominique Ranaivoson)

À la fois livre d’art, récit de voyage, réflexion sur le passé et l’inscription dans la modernité à Madagascar, ce beau livre carré offre le texte poétique bilingue français et malgache de Johary Ravaloson soutenu par les photos noir et blanc de Sophie Bazin.

 

Le Malgache des villes et de la plaine et la Française ont marché régulièrement durant 10 années jusque dans les montagnes brumeuses et froides où habite le peuple zafimaniry qui vit traditionnellement de la forêt, sculptant son bois, coupant ses arbres, défrichant son couvert pour y semer du riz.
Johary Ravaloson, qui avoue se sentir étranger à ces « populations des coins reculés » est fasciné par ceux qui, l’imagine-t-il au long du récit, figurent l’état de la population des hauts plateaux avant le 18è siècle, époque où ils ont migré vers les hauteurs. Le voyage au-delà des collines de granit qui aboutit derrière les nuages devient donc un voyage dans le temps où l’on cherche « les morceaux du passé » afin de percer le mystère des origines : « pour moi, pourtant, aller chez eux c’est toujours aller hors du monde » vers ce qu’il croit représenter le « monde primitif originel ».
Mais, de portrait en rencontre, d’enquête en diagnostic, le « rêve » et l’« illusion » se dissipent pour laisser apparaître une réalité qu’il semble regretter, les Zafimaniry aspirent à être reliés au monde, à entrer dans une modernité qui, si elle entraîne la perte de certaines traditions, apportera aussi une moindre dépendance vis-à-vis d’une forêt qui peut de moins en moins les nourrir. Prennent alors chair l’instituteur, la vieille qui regagne son village natal, le jeune qui cherche dans le tourisme des solutions alternatives à l’agriculture pour gagner un argent indispensable.

La conclusion de cette aventure personnelle est à la fois naïve et honnête : « je suis allé chercher des mythes et j’ai trouvé des hommes ». Les photos montrent les collines au granit affleurant, les maisons en bois et bambou ornées de motifs sculptés qui font toujours la célébrité de la région et ces hommes et femmes inscrits malgré les réflexions du narrateur dans le présent. Leurs postures raides et l’absence de tout signe de modernité les font ressembler à des photos anciennes d’explorateurs ou d’ethnologues, comme si tout sortait de ce « musée vivant » mais où le passé serait devenu « inintelligible ». La poésie du texte le résume : « le temps des verbes tremblote à l’orée de la citadelle ».
Bien plus qu’un carnet de voyage, ce récit témoigne de la difficulté à s’extraire de soi-même pour vivre une rencontre qui ne fige pas l’Autre dans une construction faite de connaissances et de raisonnements ; il permet à chacun de découvrir à la fois les ambiguïtés de ceux que l’on croit être hors du temps et celles dans lesquelles vivent ceux qui reviennent de la modernité.

Ce livre prouve aussi au lecteur charmé par la sincérité et la candeur du ton l’intérêt de traduire en mots et en images cette persévérante quête de soi qui passe par l’Autre. Du sein de leur forêt lointaine, les Zafimaniry, merveilleux sculpteurs, trafiquants de rhum, éternels demandeurs de riz bientôt reliés par internet, auront fait découvrir à tous que « comme la vérité, un arbre droit ne se trouve qu’au milieu de la forêt ». Il faut souhaiter à ce beau livre, publié à La Réunion mais accessible par le site de son éditeur, de séduire tous ceux qui marchent vers celle-ci.

publié par Dominique Ranaivoson
dans Africultures du 17 juin 2008

 

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